Le sesame er Ali Baba: une histoire de la grammaire arabe par Robert Rougeaux Archivo - Archive Ciencias y Comunicación - Science and Communication Número 20 - Marzo 2024 5 de marzo de 2024 Robert Rougeaux – Traduction-interprétariat France rougeaux1983@yahoo.fr En arabe, le mot sésame se dit simsim. Les deux mots français et arabe, présentent une parenté évidente. C’est aussi le cas en l’anglais et en l’allemand où l’on dit sesame. En morphologie arabe, c’est un mot classé a priori dans la catégorie des rédupliqués, Les redupliqués (muḍāʿaf) sont des noms ou des verbes quadrilitères qui sont construits à l’aide de deux consonnes radicales se répètant dans le même ordre. Pour simsim, par exemple, si C1 représente le sīn (s) et C2 le mīm (m) de la racine, simsim peut être représenté par le redoublement C1C2C1C2. Cette construction correspond souvent à la dissimilation d’une racine trilitère de type C1C2C2, où le seconde consonne est géminée. Pour éviter une gémination, un redoublement de la seconde consonne, C2. Les exemples de ce type se comptent par centaines : on forme une racine quadrilitère à partir d’une racine trilitère de type C1C2C2 uniquement et, dans la majorité des cas, la racine quadrilitère a le même sens que la trilitère. Ainsi, baṯṯa et baṯbaṯa ont le même sens : disperser, faire voler, divulguer. Les rédupliqués sont aussi parfois des onomatopées ou des mots issus d’onomatopées comme ṣahṣaha, imposer le silence à quelqu’un, lui dire de se taire, et ṣahh, chut, la paix ! ou des verbes dénominatifs décrivant les cris des animaux ou relatifs à une catégorie d’animaux : daǧdaǧa, appeler les poules, et daǧǧ, poules. Mais qu’en est-il du sésame ? Et que vient faire le sésame dans les Mille et une Nuits comme semble le suggérer notre titre ? Comme c’est souvent le cas, la racine smsm a plus d’un sens en arabe, elle est polysémique. Simsim, c’est le sésame mais le mot est aussi employé pour désigner un marchand de perles, ce qui n’est d’ailleurs pas sans rappeler simsār, l’intermédiaire entre le vendeur et l’acheteur. Il s’agit peut-être de deux mots différents qui ont évolué vers une morphologie semblable et ont été classés sous la même entrée. Samsam signifie aussi renard ou loup, en symétrie avec simām, la racine trilitère en C1C2C2. Samsam a aussi le sens poison, comme le mot trilitère summ, et sumsum est le nom de la fourmi rouge. Nous pouvons rapprocher sumsum, la fourmi rouge dont la piqure est redoutée, de summ, poison qui a subi une dissimilation. Samsim se rapporte à une espèce d’oiseaux, comme les hirondelles, samāyim, son pendant en C1C2C2. Samsām, sumsām et sumsumān, sumsumānī sont aussi des adjectifs qui prennent le sens de « léger, rapide ». Et enfin, le verbe samsama signifie marcher tranquillement et son nom d’action samsama décrit la façon de courir d’un renard. On peut gager que le verbe samsama, marcher tranquillement ou courir comme un renard, appartient à la même famille que samsam, le renard ou le loup et vient imager leur démarche. Il en va peut-être de même, mais dans l’autre sens, de l’hirondelle samsim car énormément de quadrilitères anciens sont des noms-adjectifs. Dans ce cas, la vélocité, l’agilité et la rapidité pourraient décrire le vol de l’hirondelle et, par extension, l’hirondelle elle-même. Globalement, nous pouvons en conclure que Samsam et samm sont des racines assez largement symétriques, c’est-à-dire qu’elles partagent plusieurs sens communs : agile, véloce, rapide à la course et poison ou qui a bu (samsam), loup, oiseau semblable à l’hirondelle. Mais nous ne trouvons aucune trace ou indice pour le sens « sésame », simsim, dans la racine trilitère smm, miroir de smsm. Il n’y a pas de symétrie dans ce cas. Il se pourrait donc que simsim ne soit pas un mot quadrilitère rédupliqué, dérivé d’une racine trilitère de type C1C2C2. Compte tenu de la ressemblance entre le mot arabe et le mot français, simsim/sésame, nous pouvons toujours tenter de trouver une explication du côté du français. En français, le mot sésame viendrait du latin sesamum, venant lui-même du grec sēsamon qui est d’origine sémitique. Il remonterait, via le phénicien, au babylonien shawash-shammu, signifiant huile-graine. Dans son Glossaire de Botanique ou dictionnaire étymologique des tous les noms et termes relatifs à cette science (1810), Alexandre de Théis va jusqu’à dire que sésame vient « de l’arabe semsem ». Or, Shawash-shammu est un mot composé qui porte deux sens : la graine et l’huile. Apparemment, il a suivi le procédé de production « par télescopage », dit manḥūt en arabe. On forme un nouveau mot par télescopage, en prenant une partie de deux mots différents et on imagine très bien que shawash-shammu ait pu se transformer en samsam puis simsim au fil des temps et par des modifications et transferts successifs d’une langue à l’autre. Dans ce cas, on comprend mieux le statut isolé de simsim : il n’a rien à voir avec les autres mots que regroupent les racine smsm ou smm et ne provient pas d’une dissimilation. En d’autres termes, ce n’est pas un mot rédupliqué même s’il en a l’apparence. Maintenant que nous y voyons un peu plus clair, essayons de comprendre pourquoi Ali Baba a choisi le Sésame comme mot-clé de sa formule magique pour ouvrir la grotte où est caché le trésor des 40 voleurs. Souvenons-nous que son frère, ne se souvenant plus de la célèbre formule « Sésame ouvre-toi » a essayé en vain d’autres noms de céréales et est resté enfermé dans la grotte. Le sésame possèderait-il donc une vertu particulière, unique ? Les Mille et Une Nuits sont un recueil de contes arabes persans et indiens. Et dans la tradition indienne, le sésame, est une création de Yama, le dieu de la mort. Il est un symbole d’immortalité, de perpétuité de l’existence, la clé de l’éternité, le plus grand trésor que l’on puisse imaginer. Un sésame, c’est donc un laisser-passer ou un passe-partout, la martingale, la clé qui permet d’accéder, comme par magie, à l’inaccessible et d’ouvrir la porte de la grotte aux trésors. Des esprits fâcheux pourraient nous dire : certes, mais il y a problème car, en réalité, Ali Baba, Sindbad le Marin ou encore Aladin n’ont jamais fait partie des manuscrits originaux des contes de Mille et une nuits. C’est Hana Dyāb, un chrétien né à Alep, qui aurait rapporté ces contes au traducteur Antoine Galland, et ce dernier les a ajoutés le traducteur des Mille et une nuits. Mais que ces histoires merveilleuses appartiennent ou pas aux Mille et une nuits n’invalide pas absolument pas le lien avec le dieu Yama. Bref…, ce qui est sûr, c’est que le sésame n’est certainement pas un poison. Pour vous en convaincre, sachez qu’il entre dans la composition de la Taḥīna, cette base de la sauce Tarator et de nombreux et délicieux mets orientaux qui nous laissent entrevoir un petit coin de paradis, au palais du Calife.